Les côtes en teinte du Cotentin

Tous les mardis, à 18h30, la capitainerie de Saint-Vaast-la-Hougue offre un pot. Ça alors, quelle chance : on est justement là ! Après une « rude » journée à marcher sous le soleil, voilà qui ravit les cœurs et les gosiers. Nous avons préféré rejoindre l’île de Tatihou à pied à marée basse plutôt que d’emprunter la navette amphibie, déambulant parmi les parcs à huîtres, pendant que nos amis du Tanao en savouraient les récoltes (et à plusieurs reprises, les goulus !). Mais il fait bien chaud par ici, un petit verre sera le bienvenu ! La canicule qui consume toute l’Europe depuis le début de l’été n’a pas épargné la Normandie. En témoigne la célèbre Plage Verte, immense pelouse bordant le port de Cherbourg, qui arbore maintenant une bien triste couleur brune. Sur les pontons, des affiches rappellent qu’en raison de la sécheresse le nettoyage des bateaux est interdit. Nous ne nous attarderons pas : le golfe de Saint-Malo nous attend et on a hâte de laisser derrière nous le redouté Cap de la Hague. C’est aussi à Cherbourg que les routes de Spritz et Tanao se séparent, nos amis devant déjà remonter vers le nord. Bon vent, les copains, on se retrouve dans trois semaines !

La mer est incroyablement calme aujourd’hui. Nous avons attendu l’heure précédant la pleine mer pour partir, fort de notre expérience passée, qui nous avait vus arriver à l’entrée du Raz Blanchard beaucoup trop tôt. Ce fameux Raz et ses environs remuants, difficile de croire qu’ils nous attendent au bout de ce lac tranquille. Et pourtant… Au fur et à mesure que le phare du Gros du Raz se découpe sur l’horizon, le coin affiche son caractère, l’humeur monte, les vagues se font cassantes. Mais tout cela reste très négociable. Rien à voir avec ce que nous avons connu il y a deux ans. Le Raz nous happe et nous propulse avec détermination vers Barneville-Carteret. Quelques ronds dans l’eau en attendant que la marée nous permette d’y entrer et nous voilà parés à accoster. Les amarres et les pare-battages sont en place, les voiles ferlées, la VHF allumée, je n’ai plus qu’à laisser le capitaine nous mener à bon port. Alors j’empoigne ma go-pro. L’entrée à Barneville-Carteret est si jolie. Assise sur le hublot de la cabine avant, je photographie, je filme, capturant pour la postérité cet instant magique, un sourire accroché aux lèvres. Je me sens bien. Et c’est là que le drame arrive…

D’un bon coup de fesse, j’entreprends de me relever. CRAAAAAAAAC ! Arrêt sur image, tous mes traits se figent. Ce craquement sinistre n’est clairement pas venu du fond de mon pantalon, je le sens tout de suite. Non, c’est le bateau qui vient de casser. Est-ce possible ? Je me retourne et découvre horrifiée dans le hublot un trou rond d’une dizaine de centimètres, ouvrant un accès direct sur la cabine. D’un simple coup du bassin, j’ai enfoncé et carrément brisé l’aérateur du hublot ! S’il me fallait une preuve que je dois faire régime… Le capitaine me rassure comme il peut : ce n’est pas normal, l’aérateur était certainement en fin de vie, on va réparer ça. Cette émotion négative s’efface vite pour faire place à une autre, magnifique : en s’avançant dans le port, Albert me touche l’épaule et me désigne un bateau amarré. Je regarde et retrouve aussitôt le sourire. C’est bien lui. Il est là. Notre Gaillard, construit par mon persévérant capitaine, compagnon fidèle de nos premières aventures en mer, et racheté dernièrement par un plaisancier français. Il a trouvé ici son nouveau port d’attache. Ce n’est pas une larme qui s’échappe de l’œil de mon capitaine, mais une lumière d’émotion et de fierté.

Tous les jeudis, à 18h30, la capitainerie de Barneville-Carteret offre un pot. Ça alors, quelle chance : on est justement là ! Et comme à Saint-Vaast, on a le droit de garder le gobelet estampillé « ports de la manche ». À cette allure-là, on aura vite un service complet !

Barneville-Carteret fait partie des escales que nous apprécions. Mais nous n’aurons pas le temps d’y faire de tourisme cette année, ce sera une escale conviviale : retrouvailles avec Philippe, le nouveau propriétaire de Gaillard, rencontre de Stéphane et Brigitte, amis d’amis qui nous accueillent si chaleureusement à dîner chez eux, puis rencontre de Samuel et Valérie, avec lesquels nous passons une super soirée au concert organisé au bar du port. C’est fait de ça aussi le voyage en mer : des découvertes humaines souriantes, qui laissent des traces parfois plus indélébiles que des photos.

Mais il est déjà temps de partir, car l’inconnu est maintenant à portée de main… Dès demain, nous hissons le drapeau anglais !