Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La balade de Spritz

Allegro ma non presto

2022 Nouveau départ

Publié le 20 Août 2022 par Anne-Catherine Deroux

Rien n'est plus généreux en promesses qu'un premier jour de vacances.
Cette période, espérée depuis si longtemps, nous la touchons enfin des doigts. Et tous ces rêves de liberté construits au fil des mois, ces espoirs de plaisirs infinis, tout ce bon temps promis par notre imagination, nous nous trouvons au seuil de leur réalisation. Quoi de plus excitant! Et même si nous savons que cette période sera de courte durée, qu'elle prendra forcément fin et qu'au bout du compte on n'aura pas vu passer le temps, en ces toutes premières heures bénies, tout est encore possible, et on y croit fermement.
Un voyage en bateau n'échappe pas à cette règle. Que du contraire! Car partir en bateau, c'est inviter l'imprévu au coeur de ses rêves, et lui donner carte blanche. C'est faire place dans ses bagages à un arc-en-ciel d'émotions, car l'imprévu n'a pas de limites, pour le meilleur comme pour le pire, tout peut réellement arriver... Au départ, une direction donnée au bateau, une route envisagée et une préparation qu'on espère optimale. Et pour le reste... que vogue la galère!
C'est dans cet esprit d'excitation curieuse et gourmande, pimentée d'un soupçon d'appréhension légitime, que nous larguons les amarres à Nieuwpoort, le samedi 6 août, à 15h10. La direction donnée : le sud-ouest. La route : une longue glissade d'une traite le long des côtes picardes et normandes, puis la traversée de la baie de Seine jusqu'à Saint-Vaast-la-Hougue. L'espoir de cet été : enfin découvrir les Anglo-normandes, qui nous sont restées obstinément farouches ces deux dernières années. Voir Alderney, Guernesey, Jersey... et tous ces coins de France environnants (Bretagne et Normandie entremêlées) que nous apprécions particulièrement.
Alors c'est parti!
Le vent est léger, travers ou portant, la mer également. Cette première navigation va nous demander du temps, nous le savons. Mais nous souhaitons tellement naviguer de nuit sans moteur et tellement tester nos capacités sur une longue traversée, que la perspective de passer deux nuits d'affilée en mer nous aiguillonne plus qu'elle ne nous inquiète.
Le soleil est chaud, la mer agréable. Quel plaisir d'embarquer dans de telles conditions! Dunkerque défile à l'heure de l'apéritif (sans alcool), Calais sombre dans la nuit. Sur la côte, un feu d'artifice explose.
-- Pour nous, tu crois?

2022 Nouveau départ
2022 Nouveau départ

Juste après le rail de Calais, nous coupons le moteur, que nous avions allumé pour parer le passage des ferries, et le silence de la nuit s'impose, tout juste troublé par le chuintement de l'eau glissant sous la coque.
Toute seule dehors pendant mon quart, en tête à tête avec des milliards d'étoiles, je savoure l'instant privilégié. Impossible de m'arracher à la contemplation de ce spectacle grandiose. Une multitude d'étoiles dessinent le ciel : des petites, des grosses très brillantes, des tremblotantes, des effacées, même des filantes, que je me plais à compter. Le capitaine fera de même pendant son propre quart.
La veille dans le cockpit est un plaisir. Pour dormir, c'est une autre histoire... Nous sommes trop excités ou trop curieux de ce qui se passe dehors pour arriver à trouver le sommeil. Et si en plus la radio n'y met pas du sien...
-- Le voilier qui se trouve au 50°45.513'N/001°29.090'E, pour le Sémaphore de Boulogne, me recevez-vous?
Ça a jailli dans tout le bateau comme un coup de semonce.
Le capitaine émerge de la cabine où il venait de se réfugier pour trouver un peu de repos. On se regarde, un peu indécis.
-- Euh, c'est nous ça, non?
Il s'empare de la radio avec un brin d'appréhension. Oui, c'est bien pour nous. Juste un contrôle d'identification, mais à 4h du matin, c'est un peu déstabilisant. Mais tout se déroule de manière courtoise, et, même après une identification telle que "Spritz... comme l'apéro" -- ce qui, il faut bien le dire, sonne tout de même un peu moins pro que "Sierra Papa Roméo India Tango Zoulou"... mais on pardonnera au capitaine tout juste tiré du lit --  le contrôle se conclut par un "Merci et bon vent!" bien rassurant.
Nous replongeons dans notre solitude maritime.

Peu de changement au retour du jour. Le ciel sur nos têtes, rien que la mer vide sur 360°, et le soleil qui se lève rouge, comme il s'était couché.
Force est de constater que tout n'est pas rose ici. Prenez les apparitions et disparitions des deux astres, par exemple : pas la moindre trace de rose! De l'or flamboyant pour le soleil, grenat noyé dans un fondu violet-orangé. Pour la lune, de l'argent pur, quand elle ne trempe pas sa tranche gibbeuse d'orange sanguine dans la noirceur liquide qui l'engloutit avec avidité. Les nuits, elles, sont blanches, dixit le capitaine. Et puis il y a ce bleu, omniprésent. Clair et uni dans le ciel, lorgnant vers le vert pour la mer, virant au jaune et noir sur les cuisses...

2022 Nouveau départ

Les heures passent. Nous mangeons, nous lisons, nous jouons aux cartes, nous somnolons un peu. Et la 2e nuit arrive. Deux nuits d'affilée c'est peut-être un peu court pour bien prendre ses marques, pour établir des habitudes, notamment celle du sommeil. Toutefois, la fatigue aidant sans doute un peu, je réussis à dormir deux fois une heure. La 2e fois, c'est même le capitaine qui me réveille en tapant sur la banquette du cockpit, juste au dessus de ma tête. Il veut juste me prévenir qu'il rallume le moteur. La nuit tire à sa fin et le vent est complètement tombé. On n'est plus qu'à quelques milles de Saint-Vaast, ce serait bête de louper l'ouverture des portes à marées.
C'est donc au moteur que nous terminons cette première étape. À 8h du matin, nous touchons terre, 41 heures après l'avoir quittée. En posant le pied sur le sol, il nous semble qu'il vacille. Mais le temps d'ingurgiter quelques huîtres locales et cette sensation disparaît. Nous nous enfonçons tout l'après-midi dans un sommeil réparateur, dans l'attente de nos copains du Tanao, partis quelques heures après nous, et que la marée du soir va nous apporter.

Commenter cet article